- MÉTROLOGIE HISTORIQUE
- MÉTROLOGIE HISTORIQUE«Lorsque les mesures seront uniformes et décimales, chacun pourra apprendre en une heure de temps ce qu’on ne sait jamais bien, dans l’état actuel des choses, en l’étudiant toute sa vie», annonçait à ses lecteurs La Feuille du cultivateur , dans son numéro de messidor an III. Ce bulletin cherchait à convaincre de la simplicité d’emploi du nouveau système. On accusait les mesures anciennes d’entretenir une confusion, pire, un chaos qui auraient pris fin à la création révolutionnaire du système métrique décimal. On ne commença du reste à les bien connaître qu’après leur disparition, quand il fallut calculer leur équivalence avec les unités nouvelles inventées par l’Académie des sciences sous la pression de la Convention. Grâce au nouveau système – qui devint progressivement le système international (S.I.), avant que les Anglais en l’adoptant à leur tour ne le reconnaissent en cette fin du XXe siècle véritablement comme le système universel –, on disposait enfin de l’étalon commode auquel réduire toutes les anciennes mesures. La multiplication, dans les textes, de muids, mines, minots, boisseaux, demi-boisseaux, quartes et litrons pour mesurer les matières sèches décourageait le lecteur effrayé de découvrir que l’échevinage, prudent, avait engrangé dans les greniers 100 mines de blé, 5 muids de légumes secs et 8 setiers de sel, à la cave 3 queues de vin et 7 mirres d’huile, au bûcher 6 cordes de bois, au fenil plusieurs corbes de foin, sans oublier des penses de fromage et de farine, tout cela mesuré au grand setier ou à la petite mesure, emplie, ultime précision, rase ou comble. En fait, le désordre n’était pas si grand. On le découvre, amplifié, parce qu’on veut comparer d’anciennes mesures d’un lieu à l’autre ou avec le système décimal, mais en un même lieu les mesures étaient organisées en systèmes rigoureux régis par une savante arithmétique. Cette impression de désordre naissait de la diversité des mesures d’un lieu à l’autre, d’une marchandise à l’autre. L’agronome anglais Arthur Young, qui traversa le royaume de Louis XVI dont il laissa une précieuse relation de voyage, disait sa surprise de trouver de cinq à dix mesures différentes dans un même pays, entendons un même coin de terre, là où les auteurs n’en notaient qu’une seule, celle, officielle, des chefs-lieux. Il s’étonnait davantage encore, en lisant les ouvrages français d’agriculture, de n’y trouver aucun exposé de la contenance des mesures qui y sont mentionnées à tout instant. Leurs ouvrages, concluait-il, sont inutiles. L’Angleterre n’a dû de conserver si longtemps ses propres unités, de résister à l’introduction du système décimal et de sauvegarder la tradition ancienne qu’à une unification précoce de ses poids et mesures rendus communs à tout le royaume. La complexité des anciens systèmes était telle partout ailleurs que nous nous efforcerons de limiter l’analyse au royaume de France, afin d’éviter d’obscurcir davantage une question qui manque a priori singulièrement de clarté.1. D’innombrables poidsAu Moyen Âge, ce n’est pas seulement chaque principauté, chaque ville, chaque seigneurie qui possède ses propres poids. La diversité va plus loin: chaque marchandise a ses propres emballages qui servent aussi de mesure, mais elle a également sa propre livre. La livre est l’unité pondérale la plus usitée. Les métaux précieux sont pesés avec des unités plus fines, le carat et l’once. Un recensement de ces livres dans le royaume de France dénombrerait l’existence d’un bon millier de variétés locales, dont l’apparition n’est pas seulement due au ralentissement des échanges dans un pays divisé par le morcellement féodal. En effet, à Venise, grande métropole commerciale, on recensait huit livres différentes, dont cinq réservées aux échanges locaux et trois utilisées dans le commerce extérieur: les premières servaient à peser les médicaments, les fils tissés d’or et d’argent, la soie, le biscuit de marine et les farines, le pain enfin – qui a donc pour sa pesée un poids différent de la farine ou du biscuit –, les secondes étaient le poids de marc, la livre légère et la livre grosse. On pesait les denrées de faible masse et de grands prix, tels les épices, à la livre légère, les pondéreux de moindre valeur, ainsi le sel ou l’huile, les métaux, à la livre lourde. Moins une denrée a de prix, plus sa pesée est rapide et grossière et la livre grosse fait l’affaire. L’échange marchand introduit techniquement la diversité des poids.La livre comporte des sous-multiples et des multiples, en particulier la centaine (quintal, cantar) et le millier. Le poids le plus petit est le grain, qui est la plus petite unité pondérale où commence et s’achève la perception humaine. Pendant longtemps, il a fallu les grouper sur un plateau de balance pour en estimer le poids (env. 0,05 g). Les grains sont groupés en carats, onces, marcs et livres. Le tableau 1 indique la composition de la livre de Paris, appelée aussi poids-du-roi ou poids-de-marc.La livre grosse de Venise pesait aussi 9 216 grains, et pourtant les 9 216 grains de Paris rendaient à Venise 9 456 grains de Venise. En effet, à Paris, on avait choisi pour étalon pondéral le grain de froment et, à Venise, le grain d’orge plus petit et surtout plus rond, plus léger. À quantité de grains égale dans les deux livres, celle de Venise était plus légère. Comme le poids spécifique des grains varie en fonction de la céréale choisie (blé, seigle, orge, mil), du sol et du climat, du séchage, le choix du grain provoquait ces distorsions. Les autres différences tenaient à la composition numérique de la livre. On composait en effet des livres de 12, 13, 14, 15, 16... 18, 20, 24... et 30 onces, on appliquait donc une grande variété de multiplicateurs à des poids du grain eux-mêmes très divers. On s’explique mieux ainsi la variété de livres, qui oscillent de 300 grammes environ pour les plus légères à 850 grammes pour les plus lourdes. Cependant, l’une des plus fréquentes pesait autour de 330 grammes, ce qui était approximativement le poids de la livre romaine de 12 onces. Toujours dans la métrologie médiévale, on retrouve ces traces de l’ancienne unification impériale romaine, en particulier dans le grand commerce des produits chers, des épices. Cette livre également sert à composer la charge , la somme , qui pèse 400 livres légères.La pesée s’opérait à l’aide de balances, une très vieille invention de l’humanité – Chaldéens et Égyptiens la connaissaient – et qui n’a cessé de connaître des perfectionnements pour améliorer sa précision, sa sensibilité et sa fidélité. Longtemps, on a utilisé deux types de balance, celle à fléaux égaux et plateaux, et la romaine à fléaux inégaux où le déplacement de poids curseur fait varier la longueur du levier.2. Les mesures de longueur et de surfacePied, pouce, etc., les plus anciennes mesures furent anthropométriques, l’homme s’érigeant en mesure de toutes choses. Il était commode de confronter la longueur de tout bien au pouce, à l’empan, à la coudée, au pied, au pas ou à la brasse, et il était déjà scientifique d’introduire entre ces mesures empruntées au corps humain tout un système simple de rapports arithmétiques, multiples ou sous-multiples, entiers, ne reposant pas sur des fractions. Ainsi l’empan a quatre valeurs, selon qu’il mesure l’écart entre le pouce et l’un ou l’autre des quatre doigts. Mais sa mesure est toujours égale à 1/8 de la brasse, qui mesure l’écartement des bras jusqu’aux poignets, ou aux mains fermées, ou à l’extrémité du médius, ou enfin du médius tendu, bras levé, au sol. À ces quatre mesures de la brasse, et de l’empan, correspondaient aussi quatre mesures de la coudée, car ces trois mesures de longueur entraient dans un système fondé sur les nombres 1, 4 et 8, où chaque brasse correspondait à 4 coudées et 8 empans. Ces systèmes de compte prévalaient bien avant le Moyen Âge, la perfection et l’équilibre des monuments que nous ont laissés les anciennes civilisations, depuis les pyramides ou le Parthénon jusqu’aux cathédrales gothiques ou aux églises baroques, reflètent aussi cette harmonie des nombres. Les systèmes métriques prédécimaux ont magnifiquement servi le travail de l’homme. Ils se caractérisaient, se distinguaient mieux par leurs rapports de groupement et de division que par les grandeurs absolues des mesures qui les constituaient. On fut bien en peine en effet de dégager des étalons (standards ) pour ces mesures du corps humain: l’esprit chrétien aurait aimé choisir les mensurations du Christ; de façon plus réaliste, on s’en tint à celles du roi, à défaut de toujours bien connaître les caractéristiques physiques du plus illustre des souverains médiévaux, l’empereur Charlemagne, mais longtemps on utilisa le pied de Charlemagne à côté du pied du roi , comme mesures royales de longueur.On préférait cependant souvent évaluer la superficie d’une terre cultivée non par ses mesures géométriques, mais par la quantité de grains nécessaire à son ensemencement ou par les récoltes espérées. La nature et la richesse des terroirs aboutissaient alors à créer des valeurs différentes, selon la loi des rendements décroissants. On semait plus dru les bonnes terres fertiles susceptibles de procurer de meilleurs rendements. Une bicherée de bonne terre, ensemencée d’un bichet de grain, occupait dans certaines régions une surface d’un cinquième inférieure à celle d’une terre médiocre et elle-même inférieure d’un sixième à une mauvaise ou légère. Plus la terre était pauvre, plus l’unité de surface exprimée en quantité de semailles était étendue. Le morcellement physique du paysage agraire distribué dans la grande majorité des terroirs entre fonds de vallée, côteaux et plateaux, aux sols divers plus ou moins exposés aux intempéries et à l’ensoleillement, contribuait aussi à l’instabilité des mesures dans un même village. Or très tôt on prit conscience de la nécessité de l’alignement des mesures locales et, par conséquent, on commença d’abandonner les mesures fondées sur des critères subjectifs. En Lorraine, on garda par exemple le jour , qui devint une mesure conventionnelle normalisée, uniformisée entre les seigneuries, c’est-à-dire une mesure géométriquement précise, mesurée à la toise ou verge. L’hommée perdit aussi son caractère concret et devint un sous-multiple du jour , dont elle représenta le dixième. Cette adaptation n’était possible que dans un cadre social précis: en fait le jour ou journal avait longtemps été lié à la corvée collective sur le grand domaine et l’hommée – comme sous-multiple – représentait la surface confiée à un corvéable de l’équipe. Dans l’étape suivante, on abandonna l’ancienne référence pour arpenter «à la chaîne».L’hectare est une mesure abstraite qui a sous toutes les latitudes et sur tous les sols la même définition géométrique, mais la quantité de travail nécessaire pour préparer la terre et la fertilité ou la valeur économique du sol ont, pour le paysan, une bien plus grande signification. L’inégalité géométrique des anciennes mesures venait compenser des différences de qualité, d’exposition, de relief, de types de culture, si bien qu’elles étaient sans doute plus «commensurables» ou, en tout cas, mieux comparables entre elles que les mesures métriques. La juxtaposition d’hectares géométriquement égaux n’offre pas la meilleure représentation statistique de l’exploitation agricole.3. Mesurer, peser, compterMesurer et peser, c’est déjà compter et, par conséquent, introduire la logique de l’arithmétique (et l’harmonie des nombres) dans ce qui passait pour le chaos inorganisé. C’est le nombre qui introduit l’ordre, le rapport exact entre mesures et poids. Les poids et mesures en usage en un lieu sont issus de systèmes numériques stables, organisés sur des progressions géométriques simples procédant par doublement de l’unité. Dans la numération, les Romains avaient utilisé sept chiffres: I, V, X, L, C, D, M; aux Indiens, les Arabes en empruntèrent neuf, auxquels le Moyen Âge eut l’excellente idée d’ajouter le zéro. Les numérations sont classées suivant leurs subdivisions, leurs caractères de divisibilité. On a alors plusieurs séries possibles:– série 2n , ou 2, 4, 8, 16, 32, 64, ..., en fonction des puissances de 2;– série 2n 憐 3n , ou 6, 12, 24, 48, ..., en fonction de la divisibilité par 2, 3, 4, 6, etc.;– série 2n 憐 5n , ou 10, 20, 30, 40, ..., en fonction de la divisibilité par 2 et 5.La série qui fournit les éléments de divisibilité les plus nombreux est bien entendu la seconde, qui donne seule la possibilité de prendre la moitié, le tiers, le quart et le système à base 12, ou duodécimal (qui coexistait souvent avec des divisions binaires et décimales), parce qu’il était pratique, fut couramment adopté. Dix et ses multiples (100 et 1 000) n’étaient pas absents, comme le prouve l’existence du quintal de 100 livres (ou cantar, du latin centenarium ) et du millier de livres, très fréquent dans le commerce de gros, notamment le commerce maritime.Certains, ainsi qu’en témoigne le système anglais ou 1 stone pesait 14 livres, 1 quarter 28 livres et 1 hundredweight 112 livres, restaient attirés par le chiffre parfait 28, égal à la fois à la somme des chiffres de 1 à 7 (1 + 2 + 3 + 4 + 5 + 6 + 7) et à la somme de ses diviseurs dans une progression géométrique initiée par 7: série 1 + 2 + 4 + 7 + 14, et qui se poursuit, au-delà de 28, par 56 et 112.Les tenants du système décimal font valoir que 10 est le nombre des doigts des deux mains, sur lesquels l’enfant apprend facilement à compter. Certes, mais 28 est le nombre de ses phalanges et autorise d’emblée presque trois fois plus de possibilités, 28 au lieu de 10, ce qui est important pour les opérations les plus courantes, addition et soustraction. Ce nombre de 28, sans rappeler ici la force de la tradition pythagoricienne, très vivace au Moyen Âge auquel elle fut transmise par diverses écoles de pensée, par Isidore de Séville, Boèce, Raban Maur ou la règle bénédictine, est aussi lié à la vie, au corps féminin, à la naissance: il est plus exact de considérer que l’enfant naît au terme de 10 cycles de 28 jours, soit le 281e jour, plutôt qu’à 9 mois solaires, dont on ne dit pas s’ils ont 30 ou 31 jours.La progression à base 7 demeure également présente dans notre vie quotidienne par un autre aspect, économique cette fois. Pourquoi le baril de pétrole, qui contient 42 gallons U.S., fait-il 159 litres? Le chiffre 7 donne la réponse: en Angleterre, dès le temps de la Grande Charte en 1215, il existait plusieurs mesures du gallon , une pour les grains, une deuxième pour le vin, la troisième pour la bière. À la fin du XVIIe siècle, ces mesures se maintenaient avec les valeurs données dans le tableau 2.La mesure fondamentale était le gallon de grain, égal à 1/8 boisseau. Ce boisseau avait pour dimensions H (hauteur) = 14 pouces et D (diamètre) = 14 pouces. Le gallon de grain avait donc pour dimensions H = D = 7 pouces et, par conséquent, un volume V = 269 pouces cubes. Si on réduit sa hauteur d’un pouce, on a H = 6 pouces et V = 231 pouces cubes (D étant constant). Le gallon de vin de 231 pouces cubes multiplié par 42, ou le gallon de grain de 269 pouces cubes, multiplié par 36, donnent tous deux la mesure du baril de pétrole, dont la hauteur est de 28 pouces (4 憐 7) et le diamètre de 21 pouces (3 憐 7).Retrouver l’ancien système de numération qui a présidé à la création du système de mesure contribue à mettre de l’ordre dans la confusion ancienne. À Paris, dont les rois de France tentèrent à maintes reprises d’étendre les mesures à toute l’Île-de-France sinon au reste du royaume, on mesurait les marchandises sèches, comme le blé, l’avoine et le sel, à l’aide de mesures de capacité, dites «mesures rondes», communes aux trois produits, et dont la plus grande était le boisseau (tabl. 3).Ces mesures réelles rondes entraient en relations arithmétiques avec des multiples qui étaient des mesures de compte, des mesures sans contenant et par conséquent des unités de poids (mesures pondérales). Ce passage de la mesure-contenant à l’unité de poids est important, il permet de vérifier à tous moments l’exactitude de la mesure par le poids. Entre les petites mesures réelles et leurs multiples, unités pondérales utilisées par priorité dans le transport et le commerce de gros, la médiation était confiée à une mesure dont le contenu était pesé afin que soit vérifiée la loyauté de la transaction. La mesure utilisée pour cette opération se trouvait à l’articulation des deux modes opératoires, mesurer et compter. C’était le minot, ou petit muid, qu’on avait choisi pour sa maniabilité, sa commodité d’emploi. Il était en effet l’instrument du travail quotidien des mesureurs et des porteurs, la mesure manuelle par excellence. Point de passage obligé du système, il était affecté d’un coefficient qui tenait compte de l’un des deux éléments: le poids spécifique du produit ou sa valeur marchande. À l’unicité des sous-multiples, le coefficient multiplicateur choisi introduisait dans les multiples des différences considérables. On comptait en effet 3 boisseaux pour un minot de blé, 4 pour celui de sel et 5 pour le minot d’avoine. Le système qui combinait l’unité volumétrique de mesure, l’unité volumétrique pesée ou minot de blé, puis les unités de compte, juxtaposait bien les trois opérations: mesurer, peser, compter. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que le minot, constitué de 3, 4 ou 5 boisseaux, soit l’image d’une certaine perfection léguée au Moyen Âge par le triangle rectangle (52 = 42 + 32), dont le tracé était obtenu par une corde à 12 nœuds (12 = 3 + 4 + 5).La différence existait au niveau des comptes: 1 muid de blé était fait de 144 boisseaux, tandis qu’il fallait 240 boisseaux pour constituer le muid d’avoine (tabl. 4). Elle avait aussi son importance pour stocker le grain en grenier, puisque le muid d’avoine comptait près d’une centaine de mesures en plus. Mais, pour le travail de l’homme et de l’animal chargé du transport du grain, la différence s’annihilait. En effet, si on retient les poids spécifiques des deux céréales, soit 0,70 et 0,42, on observe que le poids des deux minots était rigoureusement semblable: 1 minot = 1 boisseau de 13 litres 憐 3 = 39 litres de blé 憐 0,70 kg/l = 27,3 kg = 1 boisseau de 13 litres 憐 5 = 65 litres d’avoine 憐 0,42 kg/l = 27,3 kg.4. Mesures des liquidesD’autres exemples illustrent le caractère fonctionnel des anciennes mesures, notamment celui des tonneaux d’huile et de vin. L’huile fut longtemps pesée et l’unité de poids la plus petite du grand commerce (commerce à grand rayon et commerce de gros) était de 28 livres pesantes, dont 10, soit 280 livres, constituaient la somme (salma ), qui était elle-même l’unité de transport des animaux portant les charges sur leur dos, les bêtes de somme. Quand il s’agissait de liquides, la somme était répartie en deux tonneaux placés sur le bât, sur les flancs de l’animal. Une somme de 280 livres net pèse 131 kg net dans les pays du Rhin supérieur ou moyen, qui dépendaient du transport transalpin. La demande d’huile et de vin, produits méditerranéens, était forte dans toute l’Europe du Nord. L’huile est plus légère que le vin, selon un rapport de 9 à 10, soit 900 g/l pour l’huile et environ 993 g/l pour le vin. Un poids de 131 kg d’huile exige un «tonneau» de compte de 146 l réparti, pour le transport, en 2 futailles de 73 l environ. Pour le vin, on se contentait de la futaille de 131 litres. La différence de volume produisait une égalité de poids entre les deux récipients emplis l’un d’huile, l’autre de vin. La somme était une unité de masse calculée à la limite de la capacité de travail de l’animal en fonction des difficultés du parcours. Sur les routes de montagne, l’âne portait net 120 kg, le cheval 136 kg. Il faut bien entendu tenir compte du poids de la futaille (la tare) qui, pour de petites barriques, ajoutait 10 p. 100 au poids net de la marchandise, si bien que la considération des capacités de travail de l’animal a conduit les hommes à calculer des barriques de 120 l pour le vin et de 134 l pour l’huile quand l’animal de transport était l’âne, de 136 et 151 l pour le cheval.Cependant, même dans les villes qui ne dépendaient pas du commerce caravanier par bêtes de somme, on retrouve des unités semblables. La feuillette de vin dite d’entrepôt contenait 136,974 l à Paris. Ce contenu paraîtra aberrant à des lecteurs instruits dans le système métrique décimal, mais la feuillette répondait elle aussi à une arithmétique savante. Elle pesait même poids que 280 livres d’eau de pluie (au poids de Paris de 489,506 g la livre), soit 137,062 kg. Enfin, le cube de 4 pieds du roi (pieds cubes) rendait un volume de 137,109 l. Il est clair qu’un tel système repose sur la divisibilité par 10 (système décimal) et plus encore par 28 (280 = 10 憐 28). Il est non moins clair que tous ces volumes (mesures de capacité) étaient fondés à l’origine sur une mesure de longueur, celle du pouce pour les mesures anglaises, ou du pied sur le continent, et entraient dans des systèmes dits «clos» pour lesquels elle était l’unité fondamentale dont la connaissance livrait les unités de surface et de volume. Cela n’a rien pour surprendre, ni chez les Romains dont l’héritage subsiste presque intact au Moyen Âge, ni chez les Carolingiens, leurs héritiers les plus directs en Occident. Que ces mesures se soient par la suite modifiées, au temps du morcellement féodal en particulier, est incontestable; qu’on ait souvent tenté de retrouver l’unicité du système en rétablissant le rapport fondamental: 1 minot = 1 pied cube, les exemples abondent.Le mot «tonneau», hors de l’acception «tonneau de mer», n’a en fait aucun sens précis en métrologie. Dans la vinification, il désigne une vaste cuve, sans capacité fixe, inamovible dans le chai, dans laquelle le vigneron laisse mûrir le vin de la vendange. Dans le transport, à supposer qu’il ait jamais servi, il a fini de disparaître au début du XIVe siècle et laissé la place à la pipe (1/2 tonneau) ou à la barrique (1/4 tonneau). L’ordonnance de Colbert de 1680, pour mettre de l’ordre dans la métrologie du vin, tenta de généraliser la mesure de Paris ou pinte , qui devint le véritable étalon de capacité pour les vins. Son multiple était le muid (de Paris) de 288 pintes. Le tonneau n’était plus qu’une unité de compte représentant le multiple d’une petite unité-étalon (une pinte de Paris = 0,93 l). L’ordonnance participait à ce vaste effort monarchique d’unification des unités de mesure à partir de celles de Paris.Cependant, malgré des règlements de plus en plus précis, on éprouvait encore au XIXe siècle bien des difficultés à aligner la capacité des barriques bordelaises sur la norme de 225 litres. Le commerce tolérait 2 litres en plus ou en moins. Mais il arrivait qu’il manquât au dépotage jusqu’à 6 litres à certains très grands crus, alors qu’à la velte (mesure égale à un setier servant à jauger les tonneaux) tous les tonneaux donnaient 29,5/30. Les différences provenaient du nombre de douves utilisées et du renflement du bouge.La fraude n’était pourtant pas aussi facile avec les liquides que pour les grains, malgré l’opacité des emballages de bois. Les fraudeurs variaient le remplissage et jouaient avec l’épaisseur des douves. Il faut souligner que propriétaires et marchands n’avaient pas toujours intérêt à diminuer la capacité de leurs tonneaux. Ils cherchaient quelquefois à l’augmenter pour frauder les droits. Ainsi, selon un arrêt pris le 20 décembre 1718 en Conseil du roi saisi de l’affaire par les fermiers des taxes, les tonneliers de Lyon étaient passés maîtres dans cet art: le contenu apparent de leurs tonneaux «boujus» était inférieur au contenu réel mesuré «pinte à pinte». Comme le droit était levé «sur le tonneau», juridiquement ces tonneliers ne commettaient aucune fraude, ils avaient même pris la précaution de donner à leurs futailles la hauteur et aux fonds (fonçailles) le diamètre requis. Mais: «Ces vaisseaux d’une forme nouvelle et extraordinaire ont un ventre ou bouge si gros qu’ils sont quasi ronds [...] et qu’il n’est pas possible de les jauger avec justesse. On les porta dans la chambre de police et on les fit mesurer par des experts. Le premier vaisseau jaugé en dehors parut contenir 24 setiers, jaugé en dedans il parut contenir 31 setiers et, vidé pinte à pinte, il parut contenir 36 setiers. Le deuxième, etc.»Les propriétaires des vignobles les mieux placés pour la production, les négociants favorisés pour le commerce par la situation de Bordeaux profitaient de leurs avantages pour imposer leur loi aux autres. Dans ce jeu de contraintes, de concurrences, de hiérarchie entre vignobles, la métrologie leur procurait une arme efficace qui renforçait les particularismes et leur garantissait la pérennité de leurs privilèges commerciaux. Turgot, en 1776, rappelait la situation: les vins du haut pays (Périgord, Agenais, Quercy et toute la haute Guyenne) ne pouvaient arriver à Bordeaux avant Noël et ils devaient être enfermés dans des futailles d’une forme particulière, dont la jauge, plus faible, était moins avantageuse pour le commerce étranger. Ces futailles reliées par des cercles moins nombreux et d’un bois moins fort (saule ou aubier au lieu de châtaignier), moins durables, supportaient plus mal les voyages maritimes au long cours que les tonneaux de meilleure facture réservés au vin de Bordeaux. Les barriques de l’Aquitaine intérieure contenaient seulement de 204 litres (Gaillac) à 220 litres (Bergerac et Cahors). Bordeaux renforçait ainsi sa primauté commerciale par un double privilège reposant sur la capacité et la solidité des futailles. Ces restrictions protégeaient le monopole bordelais du commerce avec l’étranger. Elles étaient mal supportées en amont: en 1649, le tiers état de l’Agenais demandait au roi la liberté de commercer et l’abolition de «la diversité de jauge des barriques [qui] empêche tant qu’elle peut la vente desdits vins».5. Des mesures fonctionnellesAu cours de l’extraction puis de la transformation des minerais, la matière et les opérateurs changent, les mesures, par leur adaptation aux différentes étapes du changement, rendent compte de la complexité de la chaîne opératoire. Ainsi dans les mines de charbon, où les mineurs avancent le long d’un front de taille, l’abattage au fond était calculé en unités de longueur. Ces mesures de longueur étaient calquées sur le régime agraire, la paume mesurait l’avancement de la taille, une avée désignait la somme de ces avancements en un laps de temps déterminé, considéré comme unité de travail, la quinzaine par exemple, tandis qu’une avrée mesurait la hauteur de la taille. Ces termes informaient l’entrepreneur à la fois sur le rythme du travail ou progression de la taille et sur la puissance du filon, sa hauteur. Ils avaient une signification pour l’ingénieur.Pour évaluer la production et calculer les salaires, ils perdaient de leur utilité. On les abandonnait au profit d’une mesure de capacité, le «panier», qui tenait de 220 à 250 livres. Pour la remontée au jour, on versait quatre paniers dans un conteneur appelé muid qui portait 1 000 livres. En Languedoc, on empruntait le vocabulaire métrique au mesurage du vin. Les mines de Carmaux avaient adopté la barrique de 18 quintaux de 100 livres, la pipe et le muid, la France de l’Est avait la «queue». Dans la France de l’Ouest, la pipe valait 10 rasières, cette dernière d’une capacité de 64 litres pesait environ 150 livres et servait au calcul de la rémunération des mineurs de fer. La sidérurgie montagnarde du Dauphiné comme les forges catalanes de l’Ariège préféraient utiliser la benne de 120 livres ou la charge, qui en faisait le double. On retrouvait dans ces pays de montagne, en même temps que la contrainte des modes de transport, deux mesures adaptées au portage par bête de somme.Enfin, au gueulard du fourneau, les ouvriers utilisaient le panier de 120 livres pour déverser le minerai dans le fourneau où chauffait la prochaine coulée de fonte. Il est à présumer que deux hommes pour ménager leur endurance maniaient ce panier. Toujours, en effet, les mesures tenaient compte de la productivité du travail.Les anciennes mesures étaient donc des signes chargés de sens. Celui-ci, fondé sur le caractère spécifique de toute action humaine, était enraciné dans les conditions et les effets du travail, si bien que l’important, aujourd’hui, n’est pas de les convertir en équivalents métriques – ce pour quoi le système métrique décimal se révèle inadapté –, mais de déceler leur contenu social.6. Métrologie, fraudes et privilègesL’extrême diversité des mesures qui coexistaient dans une même châtellenie, voire sur un même domaine seigneurial, s’accompagnait de la stabilité de ces mêmes mesures, immobilisées par la force d’inertie idéologique qui, dans la société féodale, privilégiait l’ancestral, l’immuable, l’invariant. La seule vraie, juste et bonne mesure était la mesure «ancestrale». Toutes les autres, apparues ensuite, étaient de «mauvaises mesures». Ce principe d’inertie, avertit W. Kula, se heurtait pourtant à deux forces opposées, à deux facteurs de variabilité: d’une part, l’accroissement de la productivité du travail humain ou animal, d’autre part, l’alourdissement de la rente en nature prélevée sur les paysans. Les mesures dont on a vu combien elles étaient dépendantes de la technologie et de la productivité du travail changeaient avec les mutations technologiques. Aborder la métrologie consiste donc pour l’historien à pénétrer au cœur de cette dialectique du permanent et du variable, de la constance et de la mutation.La prolifération des pouvoirs à l’époque féodale et la pyramide des droits divers qui se sont alors substitués au droit unique, exclusif, romain entraînent pour tous les bénéficiaires du nouvel état de choses le droit d’établir leurs propres mesures. Dès lors coexistèrent fréquemment la mesure pour la dîme, la plus proche de l’antique mesure, plus conforme au conservatisme ecclésial, toujours soucieux de s’appuyer sur l’autorité des Pères et des Écritures, la mesure du marché, davantage alignée sur celles du voisinage afin de faciliter l’échange marchand, enfin la mesure qui servait au prélèvement de la rente seigneuriale. Mais chacune de ces mesures s’entendait sous l’un des quatre termes: rase, sur bord, demi-comble ou comble. Le mode de remplissage introduisait un élément de grande variabilité, pouvant aller du simple au double avec les mesures de grand diamètre et de faible hauteur. Dans ces conditions, les détenteurs du pouvoir, les seigneurs, auraient aimé utiliser plusieurs types de mesure, une au village pour percevoir la rente foncière et une autre en ville pour vendre le produit de la rente. À défaut de changer les mesures, ils espéraient toujours vendre à mesure rase ce qu’ils avaient acquis à mesure comble: les mesures des marchandises vendues par les puissants étaient toujours déterminées comme mesures maxima , celles des articles qu’ils se procuraient comme mesures minima .Dans le mesurage, le récipient jouait un rôle important, mais moins que la manière de le remplir, et ce mode de remplissage qui constituait le mesurage exerçait à son tour une profonde influence sur le dessin et le profil de la mesure. Si ces mesures rondes avaient été emplies avec un liquide jusqu’à ras bord, acheteur et vendeur auraient pu constater de leurs propres yeux la loyauté de la transaction. Pour les grains et toutes les marchandises sèches, il fallait accorder la plus grande attention à la propreté intérieure de la mesure, à ce qu’on ne la présentât pas inclinée, au geste technique du mesureur qui dépose avec précaution sa pelletée sur le bord ou la lance avec force de toute sa hauteur ou à la fâcheuse manie de battre le bord de la mesure avec sa pelle. Tous ces gestes contribuent à tasser le produit mesuré, chacun le sait, puisque chacun est alternativement vendeur (donner le moins possible) et acheteur (recevoir le plus), chacun épie son partenaire. La surveillance est cependant d’autant plus difficile que l’usage tolère, outre ces gestes, plusieurs manières de remplir la mesure, rase (râclée avec la radoire) ou comble, le produit formant un cône par-dessus les bords jusqu’à ce qu’il tombe au-dehors. Mais il y avait encore deux autres manières, demi-comble ou «grain sur bord» à un doigt, à deux doigts (de hauteur par-dessus le bord). Bien entendu, l’usage du comble incitait son bénéficiaire à présenter à son interlocuteur une mesure fort basse, plus large que haute.Ces pratiques s’enracinaient dans les rapports économiques et sociaux. Les meuniers passaient pour savants dans l’art de faire rendre à la mesure plus qu’elle ne devait. Ils aimaient recevoir le grain des paysans lorsque les meules tournaient et imprimaient leurs trépidations au plancher sur lequel étaient posées les mesures à grain. Mais ils étaient rémunérés en nature, avec la «boulange», le produit de la mouture, dont la densité était environ deux fois plus faible que celle du grain, si bien que la boulange aurait rendu deux mesures pour une de grain, si on n’avait pas pris la précaution de mesurer le grain ras et la farine comble. Dans de nombreuses régions, le meunier se payait ainsi: il restituait 13 mesures combles pour 12 reçues rases et conservait le surplus. Les meuniers avaient fâcheuse réputation, et les boulangers, conscients d’être volés, faisaient supporter le préjudice subi aux consommateurs. C’était d’autant plus facile qu’on manquait de monnaies divisionnaires (deniers) pour payer le pain (au Moyen Âge, on cuisait plus fréquemment de petits pains que des miches de 6 livres) ou rendre la monnaie. Or, dans des économies cloisonnées, dominées par la question des subsistances, les prix du grain au marché variaient chaque semaine, selon les arrivages. La variation du prix de gros payé en monnaie de «gros» devait être répercutée au détail, où le défaut de petites espèces obligeait souvent les autorités communales à substituer une variation de poids du pain au changement de prix. Dans les villes, les autorités publiaient régulièrement et les boulangers affichaient le «tarif» du poids du pain calculé en fonction du prix du grain. Les populations de l’Occident étaient, dans ces conditions, très sensibles aux questions de poids et mesures. Les émotions populaires urbaines naissaient moins de la hausse des prix du pain que de la baisse de son poids. Là où l’époque contemporaine pratique la variation des prix pour une mesure (ou un poids) invariable, jusqu’au XVIIIe siècle les hommes avaient connu le prix invariable et la diversité des poids.L’État, maître des poids et mesures qui sont, comme la monnaie, un attribut du pouvoir, n’hésitait pas à se livrer à de savantes manipulations pour augmenter le rendement de sa fiscalité. La République de Venise, qui maîtrisait à la perfection les techniques commerciales et la comptabilité, livre un témoignage saisissant des gains qu’on pouvait obtenir par le maniement des mesures. Elle recevait du sel de Méditerranée qu’elle comptait à ses marchands au muid de 13 setiers ou 26 minots combles. Muid et setier étaient des mesures de compte et le muid ainsi constitué pesait 2 376 livres. Le minot qui avait servi au mesurage s’était vu enlever sa croisée intérieure et ajouter un cercle de cuivre d’un pouce de hauteur. Il avait été rempli «à pelles croisées», rapidement, et on avait compté généreusement 13 setiers pour 12 (13 à la douzaine). Au moment de vendre, l’État reprenait le même minot dont il enlevait le cercle pour y remettre la croisée grâce à laquelle on passait la radoire. Il ne comptait plus que 12 setiers. Le muid ainsi compté pesait 1 680 livres. Si ce gain sur les mesures échappe à l’attention, l’observateur préoccupé exclusivement de l’échange monétarisé calcule que, reçu des marchands à 5 ducats et vendu aux fermiers à 30 ducats, le sel a procuré à l’État un impôt net de 25 ducats. Mais on est loin du compte, car l’État a gagné un poids de sel de 696 livres, ou 41,42 p. 100, sur les mesures, qu’il a vendu au prix de 30 ducats le muid de 1 680 livres, ce qui lui a apporté un gain supplémentaire de 10 ducats 1/3 environ. La recette fiscale atteint non plus 25 ducats, mais 35 ducats 1/3, pour un prix d’achat de 5 ducats. Elle est passée de 500 p. 100 si on considère le seul prix apparent, à 707 p. 100 si on intègre à l’analyse la variation des poids et mesures entre les deux moments de la transaction où l’État acheteur est devenu État vendeur.7. De multiples tentatives d’unificationL’usage du comble fut peut-être généralisé entre le XIVe et le XVIIe siècle, quelquefois pour ajouter un petit supplément «par-dessus le marché» ou pour offrir une compensation à ceux qui, ne pouvant acheter à grosses mesures et bénéficier des prix de gros, étaient toujours condamnés à payer le prix fort en achetant à petites mesures. Les moines de Marmoutiers se servaient pourtant à la fin du XVIIe siècle, pour leur devoir de charité et les aumônes de vin aux pauvres, d’une pinte plus petite que l’étalon de l’abbaye, mais, s’agissant de percevoir les dîmes en vins et grains, ils utilisaient un boisseau de fonte plus grand que la mesure «du roy à Tours», autre avatar de l’attitude consistant à donner à la petite mesure et à recevoir à la grande. À l’inverse, il était fréquent que l’on vendît comme à La Ferté-Milon, où «le vendeur à chaque setier ou six pichets qu’il vend donne un des six pichets à comble». De même à Mâcon, en 1656, «ladite mesure à blé appelée coupe, dont les 18, la dernière étant comble, font l’asnée de Mâcon». On voit combien les contemporains étaient sensibles à la distinction entre mesure réelle, pichet ou coupe, et mesures de compte, leurs multiples, setier et ânée.Quand s’était désagrégée l’autorité centrale, les droits de poids et mesures avaient été accaparés par les seigneurs qui établirent leur monopole dans chaque seigneurie et s’approprièrent la police des poids et mesures. Le seigneur, par la police des foires et marchés, imposait sa mesure à ses sujets et percevait des taxes, dites d’aunage, minage et pesage, pour l’usage des mesures de longueur, de capacité et de masse. La hiérarchie du régime seigneurial (pyramide de pouvoirs) était cependant respectée: le moyen justicier était autorisé par la coutume à «bailler» les mesures à ses sujets, si lui-même conformait ses mesures particulières à l’étalon de son suzerain. La royauté qui rétablissait son autorité a cherché à limiter les abus en restreignant ce monopole économique: en Touraine, en 1507, le souverain se contenta d’exiger du seigneur qu’il ait un seul étalon dont il ne pouvait modifier la contenance; en 1559, il lui imposait de mettre cet étalon en dépôt à l’hôtel de ville ou au tribunal royal.Les variations des poids et mesures se trouvaient accrues par les matériaux utilisés à leur fabrication. Elles s’usaient, étaient hors d’usage, «gastées par la rupture des bords et du fond», les étalons de métal s’oxydaient, à chaque réparation le rabattage des cercles diminuait la contenance des tonneaux, les boisseliers fabriquant les petites mesures se plaignaient de n’avoir pas de bois assez souples pour reproduire les étalons de métal moulé.D’innombrables procès montraient la nécessité de s’en rapporter à une mesure invariable, la mesure du roi, l’étalon auquel on confronterait les mesures seigneuriales. Les souverains de la Renaissance, François Ier et Henri II, cherchèrent à unifier le système. En 1558, à la demande des états généraux, Henri II décida de commencer par la capitale et ses environs. Il n’y aurait plus qu’un seul étalon du boisseau, conservé à l’Hôtel de Ville. Mais, en province, les agents du roi ne réussirent à imposer, en Touraine par exemple, que le seul étalon de la mesure de longueur, l’aune royale de Tours. Ils avaient essayé de généraliser l’emploi du setier de Tours, sans succès: en 1668, un arrêt du Conseil du roi prescrivait la conformité des mesures des seigneurs à celles du plus prochain marché, avec un dépassement toléré d’un cinquième, soit 20 p. 100. C’était une capitulation.Colbert réalisa une première réforme en choisissant de nouveaux étalons qui intégraient dans leur volume une partie de l’ancien comble: à Paris, à partir de 1669-1671, l’ancien boisseau, qui contenait 10,84 l avec un rapport 100/128 entre le ras et le comble, céda la place à un nouveau boisseau à blé. La Ville adopta ce boisseau-étalon de 13,008 l (rapport avec l’ancien 119/100).D’autres États allaient plus loin dans la constitution d’un système unifié de poids et mesures. En effet, à la faveur de la réforme, ils adoptaient non pas une demi-mesure pour conserver un demi-comble, mais un nouveau concept de la mesure, un concept géométrique unificateur qui alignait la capacité du minot sur le volume du pied cube. Désormais, la mesure de longueur fournissait la mesure de volume la plus usitée par le commerce, la mesure du transport. Cet effort de rationalisation s’observe dans toute l’Europe, où il est à porter au crédit du despotisme éclairé. Le système médiéval et seigneurial des poids et mesures apparaissait toujours plus en contradiction avec la politique d’unification et de centralisation poursuivie par l’État en voie de modernisation.En 1766, la royauté s’efforça d’établir un «tarif» exprimant le rapport entre les mesures particulières et les mesures de Paris. Les marchands de grain ne pouvaient plus se servir que du boisseau et de ses sous-multiples. La diversité des poids et mesures commençait d’être ressentie comme un obstacle aux transactions. Même les receveurs seigneuriaux ne parvenaient plus à déterminer la quantité exacte de grains à percevoir sur les domaines d’une seigneurie éclatée en plusieurs paroisses. Pour connaître le montant global des revenus en nature, il fallait établir la valeur respective des principales mesures à grains de différentes localités et réduire leur valeur à celle du roi, en somme recourir à un étalon unique. La confusion extrême engendrait enfin un besoin d’uniformité. On s’aperçut alors que le mieux consistait à connaître le poids réel des grains contenus dans les différents boisseaux en usage, sans s’arrêter à des valeurs fictives et à des gestes trop bien appris. Il suffisait de peser la mesure emplie. Cette nécessité de peser aboutit à la confection de tables indiquant le poids du boisseau et du setier pour chaque espèce de grain: le setier de méteil, mesure du roi, pèserait en Touraine 195 livres, le seigle, 192, l’orge, 160, ainsi de suite. Dès lors qu’un minot devait peser tant de livres, il devenait inutile d’en tapoter le flanc avec la pelle pour augmenter subrepticement sa capacité ou de passer la rasière pour diminuer la quantité de grain. Bientôt on s’aperçut que la mesure était inutile, plus exactement on cessa de considérer le récipient comme unité de mesure. Une véritable révolution commençait dans les usages quand éclata la Révolution française. En 1789, un cahier de doléances demandait encore que «la mesure à blé des seigneurs pour la perception des rentes n’excède pas celle du siège royal le plus proche».L’unification des poids et mesures était à bien des égards une révolution sociale autant que scientifique. Elle supposait l’abolition du régime seigneurial. Les décrets de l’été de 1789, pris au lendemain de la nuit du 4 août, et de mars 1790, qui abolissaient les droits féodaux, supprimèrent aussi le monopole seigneurial des poids et mesures.8. L’installation du système métrique décimalLe progrès de l’esprit scientifique à partir du XVIIe siècle avait rendu plus sensible aux populations le chaos des poids et mesures et les difficultés qu’il engendrait. Pour les marchands, c’était un casse-tête permanent: ils devaient, pour établir leurs prix et déterminer leurs profits, calculer à la fois les équivalences des poids et mesures du lieu où ils achetaient dans les unités du marché sur lequel ils vendaient, et les changes monétaires entre ces deux places. Même hors des échanges avec l’étranger, les difficultés étaient innombrables. Ainsi le système ancien des mesures de surface, fait de toises, pieds, pouces et lignes carrés, d’arpents, acres ou journaux, contraignait à une gymnastique redoutable. La toise carrée contenait 36 pieds carrés, celui-ci 144 pouces carrés, le pouce carré 144 lignes carrées et la ligne carrée 144 points carrés, «en sorte qu’après avoir additionné des points, il fallait diviser le total par 144 pour trouver des lignes et faire ainsi 5 additions, 4 divisions, 4 soustractions pour opérer une seule addition de toises carrées».Un système simple et naturelLe rapport décimal, ou rapport de 10 à 1, fut retenu pour diviser et sous-diviser les nouvelles mesures. Il rendait les calculs simples et faciles en supprimant les calculs fragmentaires des fractions, désormais calculées comme des nombres entiers. Une fois précisé le nombre en chiffres, il suffit d’y adjoindre l’unité de référence ou son abréviation, puis, après la virgule, les chiffres qui désignent les parties décimales: le système décimal dispense de l’énumération des subdivisions. Il abrège l’expression écrite et simplifie la disposition. Dans l’ancien système, il fallait écrire les diverses unités: on vendait pour x livres, y sous, z deniers une quantité de m muids, s setiers, m minots. Le conventionnel Prieur de la Côte-d’Or portait au crédit un nouveau système: «si l’on considère les mesures d’un même genre rangées par ordre de décroissement, chacune est dix fois plus petite que celle qui la précède immédiatement et dix fois plus grande que celle qui la suit».Le nouveau système rendait accessibles à tous les calculs, et notamment ceux des prix, alors que: «jusqu’à présent il leur a fallu s’en rapporter à d’autres sur ces objets, ou y renoncer entièrement».La décimalisation introduisait une véritable révolution dans le calcul des surfaces et des volumes. Tout passage d’une surface multiple à une sous-multiple et vice versa s’opère par simple glissement de la virgule décimale de deux rangs, de trois rangs s’il s’agit de volume.C’est là le très grand intérêt du système métrique décimal, dans l’optique de l’histoire économique et socioculturelle. Les scientifiques insistent sur un autre aspect: le système nouveau repose sur la mesure d’une partie du méridien terrestre, et La Condamine observait en 1747: «Il n’y a qu’une mesure puisée dans le sein de la nature, une mesure constante, inaltérable, vérifiable dans tous les temps, qui puisse par ses avantages arracher le consentement de tous les peuples.» Cet élément est fondamental: le nouvel étalon est vérifiable et reproductible partout, il a donc vocation à l’universel. En avril 1791, Condorcet écrivait au roi de Pologne pour le prier d’adopter dans ses États le système introduit en France par la Constituante: «Elle [V.M.] en verra un autre [avantage] plus important encore, une égalité plus grande entre les diverses classes, un moyen de placer au même niveau, dans un très grand nombre de transactions de la vie commune, l’homme qui a pu recevoir une éducation et celui dont le soin de sa subsistance a occupé l’existence entière. Ce dernier genre d’utilité doit surtout frapper un roi qui, placé dans un pays où d’anciens préjugés ont partagé l’espèce humaine en deux races d’hommes différentes, n’a rien négligé pour affaiblir cette distinction réprouvée par la nature et condamnée par la raison.» Texte superbe: la réforme des poids et mesures, mieux encore la révolution du système décimal, par sa vocation à l’universel, sont indispensables à l’accomplissement de la devise révolutionnaire, liberté, égalité, fraternité.La mesure de longueur, le mètre, était l’autre fondement du système. La dix-millionième partie du quart du méridien terrestre, selon la mesure de 1740 en cours de révision en 1790, était une convention. Si on avait divisé cette mesure en trois, on gardait l’ancien «pied»: la nouvelle mesure faisait en effet 3 pieds 11 lignes 44/100. Ce qui fait l’originalité profonde du nouveau système, à côté du calcul décimal, c’est que l’unité de longueur entre en relation simple avec les unités de surface, de volume et de capacité et qu’il existe également un rapport simple, naturel, entre ces dernières et les unités de masse. Quel que soit le produit, un kilogramme pèse toujours 1 000 grammes. Jadis, quand chaque produit avait son propre poids, une livre de pain ne pesait pas le poids d’une livre de farine.On choisit comme nouvelles unités le mètre, le litre, le gramme. La richesse et la prolixité de l’ancien vocabulaire des poids et mesures ne doivent pas dissimuler que les mots du nouveau système gardaient aussi une grande complexité, soit à cause de leur origine savante calquée sur des radicaux grecs pour la multiplication par 10 ou 100 (décagramme, décalitre, hectogramme) ou latins pour la division (décigramme, décilitre, centigramme), soit par leur foisonnement (stère, hectare, tonne, litre, centilitre ou centimètre cube appartiennent tous au vocabulaire élémentaire du système métrique). Les rapports simples (décimaux) entre les unités de longueur, de surface et de volume, qui font la supériorité du système métrique décimal, se perdent pourtant dans les unités de volume dont les rapports ne correspondent pas à leur désignation: un centimètre cube n’est pas le centième du mètre cube (mais un cube d’un centimètre d’arête), alors que pour les unités de capacité le centilitre s’avère être le centième du litre. Il s’ensuit que le gramme est l’unité de masse d’un centimètre cube d’eau pure à 4 0C représenté également par un millilitre d’eau. D’autre part, l’unicité du système ne va pas jusqu’aux unités de masse (de poids) sauf par convention pour ce seul produit: l’eau pure à son maximum de densité, à 4 0C de température, dont le décimètre3, ou litre, pèse un kilogramme. Tous les autres produits entretiennent avec l’unité de longueur un rapport particulier, spécifique, appelé précisément «poids spécifique».Une adoption malaiséeLe progrès, considérable, n’apparut pas tel aux contemporains qui boudèrent leur plaisir à manier un système d’une si évidente clarté, mais qui bouleversait des siècles d’habitudes. Ainsi, il fallait fournir aux départements et aux communes, et d’abord fabriquer à des milliers d’exemplaires, les nouvelles mesures et par conséquent instruire les ouvriers. Comment aussi montrer à un paysan qui sait que sa terre mesure un arpent parce qu’il la laboure en une journée qu’il est plus utile de la mesurer désormais en ares faits de 100 mètres carrés? Surtout, il fallut s’enfermer dans une vaste procédure de conversion, moins pour fournir aux historiens les si précieuses, mais captieuses, tables de conversion , que pour établir les prix des marchandises évaluées dans le nouveau système: lorsque le boisseau d’un produit quelconque valait un franc, à combien vendre le décalitre, et si le grain coûte tant le setier, comment fixer le prix de l’hectolitre? il fallut donc calculer toutes les conversions.Les usagers se heurtaient quotidiennement à des obstacles bien concrets. Le gouvernement avait fixé que les nouvelles mesures de capacité auraient uniformément une forme cylindrique de hauteur H = D ou H = 2 D. Le mesurage devait se faire ras. Dans la meunerie où, selon la coutume, naguère les meuniers rendaient 13 boisseaux combles de farine pour 12 boisseaux de grain rasé, non seulement il fallait calculer le rapport des anciennes mesures combles aux anciennes mesures rases, mais, accusaient les paysans et les boulangers, les meuniers fraudent davantage avec le nouveau système: l’ancien boisseau, plus large que haut, fournissait un comble plus important. À présent, pour un double décalitre de froment, ils volent à leur client la farine de «6 livres de blé». Les populations préféraient poursuivre les transactions avec l’ancien boisseau. Les préfets ordonnèrent le bris des anciennes mesures et recommandèrent aux maires de déterminer le rapport exact entre le boisseau de farine comble et le double décalitre ras de farine. La question des conversions n’était par conséquent jamais résolue. Elle ne l’est toujours pas. Et Napoléon ne rendit guère service au nouveau système, en 1812, quand il confirma son caractère obligatoire tout en autorisant l’utilisation des anciennes nomenclatures – la lieue, la perche, l’arpent, la pinte, le muid, le setier, le boisseau, la livre –, désormais appliquées au système décimal. La lieue mesurait 10 000 mètres et l’arpent, un hectare. C’était là un ensemble de concessions aux traditions et aux réalités sociales, ainsi qu’un encouragement à la résistance aux mesures révolutionnaires. En 1816, on utilisait simultanément trois systèmes, l’ancien, le métrique et le compromis napoléonien. En 1837, enfin, la monarchie de Juillet revint au système métrique dans sa pureté; il correspondait désormais aux besoins créés par la formation d’un marché national en voie d’unification grâce à la révolution des transports. Les anciens systèmes avaient vécu. Ils étaient bien adaptés à l’âge de l’artisanat, quant tout objet fabriqué était unique, mais l’âge de l’industrie qui inaugurait la production capitaliste de masse exigeait d’autres standards.L’Angleterre où prit naissance la révolution industrielle, objectera-t-on, conserva l’ancien système des poids et mesures, mais elle en avait réussi précocement l’unification. Le problème n’était pas tant en effet dans le choix conventionnel du mètre que dans les rapports de grandeur qu’il fallait instituer entre les diverses unités choisies. On a oublié les avantages du système duodécimal, même si chacun utilise couramment le système sexagésimal dans la mesure du temps, on ne sait plus calculer des fractions et on demeure surpris que 2/3: 3/4 fassent 8/9, et 2/3 憐 3/4, seulement 1/2. Mais n’importe quel tailleur d’habits sait découper la moitié d’un quart, tandis que beaucoup ignorent que dans le système décimal cela mesure 0,125.Un autre facteur a rendu difficile l’adoption du système métrique décimal: tant qu’il aurait suffi de convertir des minots en hectolitres, on serait demeuré dans un système de mesures, la difficulté n’était pas insurmontable. Mais mesures et mesurages qui s’étaient prêtés à tant de fraudes étaient l’objet de toutes les suspicions et on entreprit de substituer le poids à la mesure, car on faisait davantage confiance à l’objectivité de cet instrument. Or la relation entre hectolitre et quintal n’est jamais fixe. Changeant avec chaque produit, elle est d’une instabilité maximale. Ce qui a probablement le plus retardé l’adoption du système métrique décimal, c’est qu’on a voulu, dans le temps qu’on introduisait un nouveau système de numération qui créait de nouvelles mesures et de nouveaux rapports, imposer en fait le recours aux poids, et non aux nouvelles mesures, pour normaliser l’échange de biens entre les hommes. C’était trop demander à des populations encore fort éloignées de l’instruction primaire.On a enfin rendu responsable de l’extrême lenteur de l’adoption du système métrique un ultime effort pour étendre la numération décimale à la dernière grande unité fondamentale, le temps. On a reproché aux révolutionnaires d’avoir voulu abréger les temps de repos qui désormais coïncidaient non plus avec le dimanche (un jour sur sept), mais avec le décadi (un jour sur dix). En fait, le calendrier révolutionnaire tournait le dos à l’ambition universaliste. Dans la chrétienté occidentale, les hommes avaient déjà en commun la mesure du temps et le calendrier, tandis que le calendrier révolutionnaire s’affichait d’emblée comme le calendrier national et déchristianisé de la Révolution qui, dans son écriture même, le choix des chiffres romains pour indiquer le millésime, tournait le dos à la numération décimale arabe.9. Des survivances des anciens systèmesLa métrologie forestière reste marquée par la survivance d’anciennes mesures et usages locaux. Les procédés de mesurage changent lentement et il est difficile de substituer l’évaluation au poids à l’ancienne évaluation en volume. D’où viennent les difficultés? il a pourtant fallu adopter des mesures géométriques entendues par tous les acheteurs du bois, même lointains. Le commerce, dès qu’il sort des limites du cadre local, oblige à adopter ces mesures exprimées dans un langage connu des destinataires. Calculer le volume d’une grume – le tronc abattu – n’est pas trop ardu. On mesure sa rotondité à l’aide d’une ficelle portant des nœuds qui correspondent à des fractions du «pied». Toute erreur ou fraude rentre au carré dans le calcul du volume. La mesure la plus usitée du bois coupé reste la «corde» dont l’usage fut encore légalisé en 1947. Or il existe six types de corde auxquels le pied fournit les mesures de largeur et de hauteur. Seule la longueur, système métrique oblige, est établie en mètres. Si l’une de ces dimensions varie, par exemple la longueur des bûches (qui donne la largeur de la corde empilée), ou la hauteur, la corde mesurera de 56 pieds cubes à 128 pieds cubes. Le stère fondé sur le mètre et qui sert à la vente est fait de 29 pieds cubes. Il désigne le mètre cube (m3) de bois empilé, vides inclus. Stère et mètre cube ne se recouvrent pas. Un empilement de bois, même si on fait abstraction des fraudes possibles, offre toujours une partie pleine et une partie vide. Pour un stère de bois empilé, la somme du cubage de chaque bûche excède rarement 0,700 m3 et les vides occupent donc 0,300 m3. Le rapport du volume total au volume plein atteint 1/0,7 = 1,43 et il faut empiler 1,43 stère pour obtenir un volume de bois de 1 m3. Ce rapport est variable, il dépend de l’essence, de la grosseur des bûches, de l’importance respective des bois droits ou tors. Or les deux mesures, stère et mètre cube, ont chacune leur importance, leur usage, car avec la première on calcule l’emplacement où sera logé le bois, sur le véhicule ou dans l’entrepôt, tandis que la seconde indique combien de planches, de meubles on tirera du matériau. L’adoption de mesures différentes à l’achat et à la vente continue d’engendrer de grands profits. À la coupe, on utilise encore le pied et le pied cube, mais on a arrondi la mesure du pied à 33 cm, si bien que le pied cube mesure 0,035 9 m3 considéré comme 1/27 m3. Le marchand qui achète au pied cube vend au mètre cube. En fait, comme le pied mesure en réalité 0,324 84 m, son cube atteint seulement 0,0342 7 m3 et le mètre cube contient en réalité 29 pieds cubes, et non 27. Cette différence de 2 pieds cubes produit un surprofit de 7,4 p. 100. La vente au poids résoudrait-elle tous ces problèmes? Rien n’est moins sûr. En effet, ce qui pèse le plus dans le bois, c’est l’eau et, plus fraîchement il est coupé, plus il contient d’humidité, jusqu’à 30 et 40 p. 100 du poids total. On n’atteint un bon degré de séchage qu’après dix-huit mois d’empilage dans un hangar aéré. Voilà l’exemple d’un produit où l’adoption du système métrique soulève bien des difficultés.L’historien peut avouer ingénument «faire abstraction des calculs métrologiques» quand il fait de l’histoire économique, notamment celle des prix et des profits, le marchand moins naïf achète à l’ancienne mesure pour revendre au mètre. En métrologie historique, on n’acquiert une connaissance à peu près exacte des poids et mesures que si l’on possède une connaissance parfaite de la marchandise pesée ou mesurée et des usages auxquels elle donnait lieu aux différents stades de la production, du transport, du négoce et de la distribution.Il peut être surprenant, voire décevant, de ne pas trouver dans cet exposé de réponse aux interrogations sur la valeur métrique de la toise, de l’arpent, du muid, du quintal..., dans la seigneurie, le village, la ville, la province..., et pour l’époque dont on est curieux. Cela tient au fait que la réponse, ni inutile ni superflue, ne pourrait être le fruit que d’une patiente recherche! Le système métrique décimal, qui se distingue des anciens systèmes par le fait qu’il apporte une réponse unique à de telles interrogations, n’offre qu’un étalon incommode de conversion des anciens poids et mesures, car il leur est par nature étranger. Il n’a pas été, fort heureusement, créé pour offrir une conversion. Il est autre. Il est un, il repose sur une abstraction, sur une convention, sur une mesure issue d’une nature géométrisée et rendue universelle, alors que les mesures antérieures étaient anthropométriques, calculées sur «les hommes», plurielles, multipliées à l’infini par les modes de mesurage.
Encyclopédie Universelle. 2012.